Utiliser les opportunités offertes par l’intuition – Minimiser les risques de la subjectivité.
Le principe des quatre yeux est un des standards de qualités centraux de Swissassessment, la fédération des organes proposant, utilisant ou étudiant la pratique de l’assessment. Le principe des quatre yeux définit l’évaluation d’un.e candidat.e par au moins deux observateurs.trices. Deux observateurs.tries avec leur champ de compétences et une intuition qui leur est propre. En effet, à ce jour, aucun test savant, aucun outil online, aucun avatar n’a été en mesure de remplacer l’intuition d’évaluateurs.trices expérimenté.e.s.
„Mes tripes me disent…“. Jusqu’il y a une dizaine d’années, une argumentation basée sur son ressenti était cataloguée comme peu crédible dans le champ du diagnostic des compétences et de la personnalité. Désormais, l’intuition a retrouvé ses lettres de noblesse. Si la recherche, notamment en psychologie sociale, s’est principalement concentrée sur les biais de perception, c’est-à-dire tous les aspects qui limitent la capacité des êtres humaines à évaluer autrui de manière objective et neutre, de nouvelles découvertes issues de l’étude du cerveau et de l’intuition prouvent que notre ressenti, nos “tripes” disposent effectivement d’un potentiel remarquable. En effet, notre système limbique intègre une quantité gargantuesque d’informations – à notre insu -, qui déclenchent des réflexes, des sentiments ainsi que des réactions automatiques, ce qui nous aide à évaluer rapidement et avec un minimum d’effort les gens qui nous entourent et les situations auxquelles nous sommes confrontées.
Notre système limbique intègre une quantité gargantuesque d’informations – à notre insu – qui déclenchent des réflexes, des sentiments ainsi que des réactions automatiques, ce qui nous aide à évaluer rapidement et avec un minimum d’effort.
Seul 5 % du traitement de l’information serait conscient
Les 95 % de l’activité de notre cerveau ont lieu dans notre système limbique, pour seulement 5% dans le cortex. Or, c’est uniquement l’activité cérébrale qui se tient dans le cortex que nous percevons et analysons consciemment. Ainsi, comme nous ne traitons consciemment qu’une infime partie de l’information, l’attention des évaluateurs.trices lors de l’assessment doit être canalisée et focalisées sur certains éléments plutôt que d’autres – d’où, notamment, l’utilisation de critères d’observations clairement définis. C’est là toute la supériorité de l’être humain sur les autres méthodes d’évaluation. Nous n’enregistrons pas uniquement si le la candidat.e fournit la réponse ou produit le comportement que nous nous attendons à observer, mais nous sommes également capables – contrairement aux tests standardisés – d’évaluer et de cataloguer la multitude des réponses qui dévient du script prévu, et d’estimer si la réponse/le comportement est authentique et découle de l’attitude souhaitée.
Garder du temps pour des questions de fond
De nombreux chercheurs impliqués dans des recherches sur l’intuition sont aujourd’hui de l’avis que celle-ci nous permet de prendre en compte de nombreuses informations et expériences en un temps record. Cela ne signifie pas pour autant que notre intuition nous mène toujours à produire une évaluation correcte. Cette dernière ne peut être en effet considérée comme pertinente qu’à condition de s’appuyer sur des expériences antérieures solides et une relecture critique. La connaissance des risques de biais de perception doit faire partie du champ de compétence des évaluteurs.trices. Ces dernier.ère.s doivent être conscient.e.s de leurs propres filtres et prendre les mesures pour limiter l’effet de ceux-ci. Cela ne peut se faire que si les évaluteurs.trices disposent d’un temps suffisant pour faire ce travail de mise à distance et comparer leurs perceptions respectives. Cette légère irritation, ce mauvais pressentiment, suis-je le/la seul.e à le ressentir ? Suis-je en mesure de le rattacher à quelque chose de concret ? Est-ce dû à ce regard fuyant, le geste impatient, la réponse un peu trop rapide… ou est-ce que cette personne me rappelle quelqu’un d’autre ou me renvoie à un de mes propres sujets sensibles ?
Notre intuition ne nous mène pas toujours à produire une évaluation correcte.
Stéréotypes et biais
Les stéréotypes font partis des classiques des biais de perceptions. Ils reposent sur des catégories simplificatrices, des clichés et des amalgames. Ce sont tous ces postulats généralisants, comme par exemple que tous les suisses sont travailleurs et ponctuels, les femmes mauvaises conductrices et les hommes incapables de faire deux choses en même temps.
Les femmes et les hommes sont souvent évalués différemment sur la base de critères qui n’ont que peu ou pas de pertinence.
De nombreuses études prouvent que les femmes et les hommes sont souvent évalués différemment sur la base de critères qui n’ont que peu ou pas de pertinence. Ainsi, les recruteurs.trices auront tendance à catégoriser au premier regard les jeunes femmes comme immatures, mais associeront la jeunesse chez les hommes à l’énergie et au haut potentiel. Apprécier de travailler en équipe est noté positivement chez un homme, mais est attribué chez les femmes à un manque d’autonomie. De plus, certaines qualités sont considérées comme propre à un genre : les femmes sont patientes, sensibles et savent faire preuve d’empathie, les hommes sont ambitieux et savent faire preuve de leadership. Cela peut mener certaines évaluateurs.trices à percevoir les femmes ambitieuses comme obsédées par la réussite, et les hommes patients comme incapable de s’imposer. Dès le moindre signe d’empathie exprimé par un homme, ses compétences sociales sont soulevées et remarquées, alors que l’empathie d’une candidate est prise comme une évidence et n’est par conséquent pas relevée.
Les croyances de toute une vie
Les gens tendent à s’attacher à certaines croyances, même si cela fait longtemps que celles-ci ont été dévoilées comme erronées. Ainsi, on peut notamment constater qu’un grand nombre de recruteurs.trices continuent à rejeter d’office les dossiers de candidatures qui contiennent une faute d’orthographe, bien que la grammaire et l’orthographe ne soient pas, selon Pr. Uwe Kanning de l’Université de Osnabrück, un critère de réussite dans la plupart des fonctions et que les fautes d’orthographes ne sont pas corrélées à un manque de motivation, d’attention au détail ou de fiabilité.
On accuse également souvent les mères de mettre leur famille en propriété et d’être, de ce fait, moins engagées professionnellement que les personnes sans enfants. Cette croyance perdure, bien que des recherches attestent que l’identité professionnelle est toute aussi importante pour les mères que pour les personnes sans enfants, et que les mères sont tout aussi productives que les personnes sans enfants. A cela s’ajoute que, à curriculum vitae équivalents, les mères sont évaluées comme moins compétencentes que les personnes sans enfants et qu’elles sont à moitié moins souvent invitées à passer un entretien d’embauche que les personnes sans enfants.
Les gens tendent à s’attacher à certaines croyances, même si cela fait longtemps que celles-ci ont été dévoilées comme erronées.
Qui se ressemble, s’assemble
Les chercheurs de la psychologie sociale ont fourni de robustes preuves que nous tendons à privilégier les personnes qui sont “comme nous” et à discriminer “l’autre”. Ils appuient cette affirmation sur le concept de l’identité sociale (Tajfel et Turner, 1979). Depuis quelques années, ce sont également les économistes qui se sont penchés sur la thématique (Akerlof et Kranton 2000), arrivant aux mêmes conclusions : au sein des groupes sociaux, certaines normes sont en vigueur et les individus n’y correspondant pas sont sujet à diverses formes de discrimination.
Les situations de concurrence, telle que le recrutement ou la promotion, renforcent cette tendance au sein du groupe dominant (Giuliano, Leonard et Levine, 2011). Les situations ambiguës augmentent elles aussi le risque de prises de décisions basées sur des préférences personnelles. Lorsque les critères d’observations sont clairement définis et que les candidat.e.s correspondent à ces critères, les risques sont moins grands que lorsque les critères d’observations ne sont pas clairs, ou que ces derniers sont clairs mais que les candidat.e.s n’y correspondent pas toute à fait, mais qu’une décision doit néanmoins être prise. En cas de doute, les êtres humains privilégient effectivement ceux qui leur ressemblent.
Nous tendons à privilégier les personnes qui sont “comme nous” et à discriminer “l’autre”.
Divers aspects touchant à l’évaluation de candidat.e.s ont été étudiés. Il apparait que nous privilégions les personnes de même race, de même origine, du même niveau d’éducation et de même formation. Nous tendons également à surévaluer les performances des individus du même statut que nous, à moins que nous appartenions à un groupe de bas statut.
Sexisme et racisme
Nous vivons aujourd’hui dans une société qui se veut égalitaire. De ce fait, le sexisme et le racisme opèrent désormais de manière plus subtiles, c’est-à-dire qu’en général, nous n’admettons plus ouvertement que nous avons des stéréotypes sexistes et racistes, notamment lors de décisions concernant le personnel. La discrimination se fait ainsi de manière indirecte. Les recherches de Sophie Larribeau et al (2013) démontrent que les évaluateur.trices tendent à décrire le comportement négatif de leur propre groupe ainsi que le comportement positif des autres de manière factuel par des verbes (situation au centre), mais d’utiliser concernant le comportement positif de leur propre groupe et le comportement négatif des autres des adjectifs jugeants (personnalité au centre). Même dans le choix des verbes il y a une différence, on peut ainsi observer que le comportement des candidat.e.s du même groupe est décrit avec des verbes généralement dynamiques, alors que celui des autres groupes est décrit avec des verbes plus passifs. C’est notamment de ce mécanisme d’évaluation différenciée et biaisée que découle la perception du/de la candidate comme plutôt dynamique ou plutôt passive.
Les femmes apparaissent comme étant victimes de discrimination autant de la part des hommes que de la part des femmes, bien que la performance réelle des femmes ne justifie pas ce traitement différencié. Il semblerait que dans ce cas-là, le principe de survalorisation de son propre groupe ne fonctionne pas. Deux explications ont été avancées par le champ de la recherche. Les stéréotypes négatifs constituent la première explication, la seconde avance que les personnes faisant parti de groupes au statut inférieur (ici, les femmes) tendraient à dévaluer les personnes du même statut, en comparaison avec des personnes de haut statut (ici, les hommes).
Les femmes apparaissent comme étant victimes de discrimination autant de la part des hommes que de la part des femmes, bien que la performance réelle des femmes ne justifie pas ce traitement différencié.
Effet de Halo et forme du jour
On entend par effet de halo la prévalence d’un aspect sur les autres. Cet aspect peut être positif ou négatif. Ainsi, nous attribuons par exemple aux candidat.e.s extravertis une grande créativité, ou aux candidats plus discrets des compétences moindres en ce qui concerne le contact avec les clients, alors que ces différentes compétences ne découlent pas les unes des autres. En fait, nous attribuons du crédit positif ou négatif. C’est pour éviter cet effet que les différentes compétences doivent être observées indépendamment les unes des autres. Peut-être que l’employeur.euse nous a déjà transmis certaines de ses craintes et ainsi, nous orientions notre attention de manière démesurée sur ces déficits redoutés. A cela s’ajoute également le biais potentiel induit pas l’état de l’évaluateur.trice. En effet, aux yeux d’un.e évaluatreur.trice surmené.e et fatigué.e, le/la candidat.e extraverti.e peut sembler surexcité.e, et le/la candidat.e plus sur la retenue comme soporifique.
Nous attribuons par exemple aux candidat.e.s extravertis une grande créativité, ou aux candidats plus discrets des compétences moindres en ce qui concerne le contact avec les clients, alors que ces différentes compétences ne découlent pas les unes des autres.
Afin de fournir des assessments de haute qualité, il est capital d’engager des évaluateurs.trices consciencieux.se, réflexifs.ves et expérimenté.e.s provenant de différents domaines et milieux, qui disposent du temps nécessaire pour échanger de manière critique au sujet de leurs observations et perceptions respectives, selon le principe des quatre yeux.
Ursula Gut-Sulzer
Ursula Gut-Sulzer est Managing Partner chez Vicario Consulting SA. L’entreprise, d’ampleur nationale et basée à Lausanne, est active depuis 20 ans dans le domaine de l’assessment. Vicario Consulting emploie une quarantaine de collaborateurs, forme des apprenti.e.s et travaille régulièrement avec des instituts de recherche. Lire plus loin
Sources :
– André N’Dobo, Emmanuèle Gardair; Le discours de la discriminiation en situation de sélection professionnelle: un exemple de persistance du biais de différenciation intergroupe ; les Cahiers Internationaux de Psycologie Sociale 2006/2 (Numéro 70), p.21-34. DOI 10.3917/dips.070.0021 ; https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-socilae-2006-2-page-21.htm
– Philippe Castel et al. ; Biais de discrimination et statut social. Une étude de terrain sur les relations intergroupes, Le travail humain 2006/4 Vol.69), p. 305-315, DOI 10.3917/th.694.0305 ; https://www.cairn.info/revue-le-travail-humain-2006-4-page-305.htm
– Sophie Larribeau et al., Une mesure expérimentale de la discrimination homme-femme à l’embauche, Revue d’économie politique 2013/3 (Vol. 123), p. 333-351. DOI 10.3917/redp.233.0333 ; https://www.cairn.info/revue-d-eonomie-politique-2013-3-page-333.htm
– Video de l’Université de Lausanne au sujet de la discrimination des femmes: https://youtu.be/TQG7zySAyaE
– Kahneman, Daniel: Schnelles Denken, langsames Denken. München, 2011.